dimanche 17 juin 2012

LA CLEPSYDRE

Wojciech Jerzy Has ; Senatorium pod Klepsydra, Le Sanatorium au croque-mort ; 1973 ; Pologne ; 118 min ; couleur

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à 20H, au ciné le Chat-qui-déraille, 72 rue Riquet, Paris 18
métro Marx Dormoy + Riquet
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Film insynopsysable pour spectateur égaré...


On se souvient d’un autre film où W. J. Has (1925-2000) a prodigieusement défié le temps et ouvert les espaces multiples de l’imaginaire – Manuscrit trouvé à Saragosse d’après le roman palimpseste de Jerzy Potocki.
À partir d’un recueil de nouvelles de Bruno Schultz rassemblées sous le titre Le Sanatorium au croque-mort (1937), W. J. Has déploie dans une surprenante subjectivité de la caméra le voyage de Joseph dans le royaume de son enfance. Joseph, le personnage principal mais aussi souvent l’oeil de la caméra, erre à travers les images qui ressurgissent de sa mémoire : une réalité cède sa place à une autre, aussi possible qu’invraisemblable, quand il traverse les passages secrets (fissures dans le mur, portes dérobés, couloir sous les tables ou encore les lits) comme des seuils de sa conscience.


Cependant le temps est le véritable personnage principal d’un film nous plongeant dans le monde onirique au statut ontologique incertain. Même Joseph lui-même se pose la question : C’est arrivé, ou non ? Halluciné par ses aventures intérieures, il éprouve la multiplicité des espaces ainsi que le dédoublement de lui-même.
La caméra glisse dans l’oeil de son double, et nous voici pris à rebours, la porte d’entrée du sanatorium s’ouvre une seconde fois, le film démarre à nouveau, le printemps s’immisce dans l’hiver, la réalité se duplique, son double l’invite à suivre d’autres aventures potentielles.
Les démultiplications du Moi et des espaces par lesquelles ce Moi se souvient ou réinvente son passé toujours vivant, donnent au spectateur des sensations vertigineuses ainsi qu’une conscience jubilatoire de l’arborescence de sa propre vie.

«Ce qui est le plus vrai d’un individu, et le plus Lui-même, c’est son possible, - que son histoire ne dégage qu’incertainement.»


Ce voyage non-linéaire mais à la continuité spatio-temporelle régit par le processus de la mémoire, bouscule la narration de cause à effet et nous dévoile un temps intérieur, un temps capricieux, erratique, indécis. Nous pouvons parler d’ellipse mais dans un temps qui serait le paysage d’un éternel présent. Dans la mémoire tout évènement existe
de manière parallèle, dans un même champ de vision. Les images se chassent les unes les autres à une allure affolante. Le temps, «à la course inégale» dans la prose de Schultz, forme «des sortes de noeuds dans l’écoulement des heures, absorbant on ne sait où de larges intervalles de durée». On pense à la perception immédiate, simultanée, indivisible et mouvante dans la théorie du temps de Bergson.

W.J. Has nous donne une belle leçon de la liberté de vision du cinéaste, où sa caméra prend un envol sans limite à l’instar du vol de l’oiseau, qui est la première image du film. «Cet oiseau qui tente de se maintenir en vol est à l’image de l’homme dans sa tentative sans cesse recommencée de saisir un instant qui toujours se dérobe» écrit Anne Guérin-Castell, spécialiste du cinéma de Has. N’est-ce pas aussi un défi sans cesse renouvelé par le métier du réalisateur ? Quelle joie alors pour nous de plonger dans ce récit du rêve – changeable, malléable, insaisissable- qui nous transporte instantanément dans les espaces intérieures, foisonnants et hermétiques, mais reconnaissables par chacun en son for intérieur.



MESHES OF THE AFTERNOON
Maya Deren ; 1943 ; États Unis ; 13 min ; noir et blanc

Surnommée la «femme à la caméra», Maya Deren est une cinéaste que toute une génération de réalisateurs de l’expérimental américain canonisa «Notre mère à tous» et en honneur de laquelle ils fondèrent la Film-Maker’s Cooperative, un an après sa mort, en 1962.
Meshes of the afternoon fait partie de «ces films de chambre» qu’elle réalisa avec son mari.






J. W.